Rassurez-vous, je ne vais pas jouer les Zola et bien au contraire, je voudrais m’arrêter quelques instants sur ces fameux loisirs. Le mineur était un bon bricoleur, on lui reconnaissait même cette faculté de savoir tout faire avec ses dix doigts ; il cultivait avec talent son carré de jardin ; il était musicien bien souvent aussi ; les clubs de colombophilie affichaient complets et les foyers qui ne possédaient pas leur élevage de canaris pouvaient se compter sur les doigts de la main.
Justement, parlons-en des canaris et permettez-moi de planter le décor… Dans les années1960, mon père, coulonneux invétéré, élevait aussi des Perruches, des Mandarins, des Moineaux du Japon et j’en passe… De mon côté, j’inventais des pièges pour capturer les oiseaux et je fabriquais des bagues en découpant les tubes de cachet d’aspirine de l’époque. J’y gravais un numéro avec une pointe de compas et je tenais un registre de mes observations dès lors que l’oiseau avait retrouvé sa liberté.
Lorsque j’ai pris mon adhésion au « Canari-Club-Héninois » – une centaine d’adhérents et un président qui s’appelait M. Albert Read – je me suis vite aperçu que beaucoup d’éleveurs pratiquaient l’hybridation entre Canaris et Chardonnerets, Tarins, Sizerins, Linottes, Bouvreuils ou Verdiers. Il était déjà interdit, au milieu du siècle dernier, de capturer et de détenir des oiseaux indigènes, mais le commerce du produit hybride semblait curieusement échapper à la vindicte du législateur…
Chardonnerets ou Bouvreuils se vendaient à prix d’or, dans l’arrière-salle des grainetiers locaux et ils étaient même en vente libre, derrière la frontière belge. J’ai vu des milliers d’oiseaux enfermés dans des volières-mouroirs, en Belgique donc mais aussi dans les sombres buanderies des corons de nos villes.

A 18 ans on est généreux, vous le savez, on s’enflamme pour des causes qu’on jugeessentielles et je suis parti en guerre contre les braconniers, les tendeurs comme on lesappelait, ceux qui tapissaient leurs jardins de gluaux, de filets, de ravages, de trébuchets etautre mazinguets, pour l’attrait de l’argent. En réaction, j’ai donc souhaité créer un clubréunissant des copains, des connaissances révoltés comme moi par ces abus et cespratiques moyenâgeuses.. Vous savez qu’à l’époque, certains tendeurs arrachaient la têtedes femelles des chardonnerets, Fauvettes ou autres Rougegorges, afin qu’elles nereviennent plus s’emmêler dans leurs filets ou s’engluer dans leurs parcs de baguettes. Ils neconservaient que les mâles réputés chanteurs et donc monnayables…
Notre groupe, le « Club des Jeunes Ornithologues », a rapidement obtenu quelques résultatsspectaculaires. La gendarmerie locale venait même me chercher, certains week-ends, à desfins d’expertise, lorsqu’elle avait décidé une perquisition chez certains braconniers tropréputés ou trop entreprenants. J’étais devenu, à 20 ans, « Monsieur l’Expert en Ornithologie »et mon nom figurait comme tel au bas des procès-verbaux qui se succédaient…
Oui, mon décor est planté et, à ce stade, vous connaissez l’essentiel de mes motivations ;venons-en maintenant aux prémices de la naissance du G.O.N. Pour vous rassurer, s’il enétait besoin, sur mon cursus personnel, j’avais entretemps intégré l’Ecole Normale d’Arras etle C.R.M.M.O. le Centre de Recherches sur les Migrations des Mammifères et des Oiseauxm’avait accueilli en tant que bagueur et, permis spécial en poche, je tendais mes filets,chaque dimanche, dans les zones lacustres de Palluel. Mon nom figurait donc, disais-je, surles procès-verbaux de gendarmerie, … La L.P.O. quant à elle se portait régulièrement partiecivile contre les braconniers. Son délégué régional n’était autre qu’un certain M. Lagache-Pauchant, un chef d’entreprise de Ronchin, près de Lille. Monsieur Lagache connaissaitMonsieur Lucien Kérautret de Douai lui-même introduit dans le « Groupe des JeunesOrnithologues » basé à Paris. Ils sont venus me voir, en octobre 1965, et autour d’une table,dans le café « La Chaumière » d’Hénin Liétard, nous avons fait connaissance et lancéquelques éléments de projets dont celui de nous revoir, assez vite, pour jeter les bases d’unregroupement régional. Cette seconde et décisive rencontre eut lieu toujours dans le mêmeétablissement « La Chaumière » le dimanche 23 janvier 1966 et, cette fois, il y avait dumonde. Là, nous avons parlé de protection des oiseaux certes, mais aussi de recensementde l’avifaune, de dates de migrations, de nidification, de détermination des espèces, brefc’était du sérieux… Les contacts se sont multipliés, à Douai puis à Ronchin, les projets ontpris corps, notre groupe s’est structuré et, trois mois après mon mariage, le Journal Officiel du6 novembre 1968 publiait la création du « Groupe Ornithologique du Nord de la France ». M.André Gouillart en était le président, Lucien Kérautret le vice-président et M. Lagache-Pauchant le secrétaire-trésorier. S’ajoutaient les conseillers d’administration : MessieursBamière, Delsaut, Godin, Lefebvre, Lemer et Milbled. Gilbert Decroix avait accepté deprendre en main la centrale-photo. Que de chemin parcouru en 50 ans !…
Que d’épreuves, que d’abnégation, que de travail, mais quelle belle réussite et combien noussommes tous fiers, aujourd’hui, de pouvoir le dire…
Texte écrit par un des premiers du GON : Robert LEFEBVRE Il explique comment s’est forméle GON avec Lucien Kerautret
VIE